Publié le 18 juin 2021
L’agroalimentaire en 2050 : nouveau paradigme ?
Quels sont les futurs possibles pour l’industrie agroalimentaire à l’horizon 2050 ? Nouveau paradigme, développement des protéines alternatives, de l’alimentation personnalisée et de la robotique… Le sujet a été adressé à l’occasion d’un webinair organisé par l’ANIA le 17 juin dernier. Y sont intervenus : Matthieu Vincent et Jérémie Prouteau co-fondateurs de DigitalFoodLab. Mais aussi Benjamin Delecroix, Chargé d’affaires de l’incubateur Euralimentaire ainsi que Françoise Gorga, Directrice du Pôle Prospective et Innovation de l’ANIA.
Cet article est en grande partie basé sur leurs interventions, mais pas uniquement.
L’agroalimentaire en 2050 : un nouveau paradigme accéléré par la Covid ?
Tout d’abord, se projeter en 2050 nécessite de croiser plusieurs éléments. Il s’agit entre autre des évolutions sociétales, des inflexions engendrées par la Covid, mais aussi des données concernant l’écosystème des start-ups de la FoodTech.
La croissance de la FoodTech disrupte progressivement notre modèle alimentaire
Ainsi l’observation de la croissance fabuleuse de la FoodTech peut-elle donner un aperçu de l’agroalimentaire à l’horizon 2050. En effet, ce phénomène encore embryonnaire et marginal il y a 15 ans disrupte petit à petit l’alimentation. Les nouvelles solutions d’alimentation qu’elle propose requièrent, dans toute ou partie de leur élaboration, des technologies diverses et une maîtrise de la donnée.
Parmi ces solutions, l’on trouve entre autres des produits nouveaux prenant en considération la santé et l’impact environnemental. Il peut s’agir par exemple de nouvelles protéines. Ces dernières peuvent être végétales ; issues d’algues, d’insectes, de culture cellulaire ou de fermentation. Mais la FoodTech propose aussi des méthodes de production optimisées, une alimentation personnalisée grâce aux données ADN ou du microbiote. Et bien sûr ses propres circuits de distribution ou de livraison grâce à une maîtrise de la donnée.
La société prend conscience du lien entre alimentation, changement climatique et santé
Parallèlement, la société est en train de prendre conscience du lien entre alimentation, santé et changement climatique. L’homme se remet peu à peu au cœur d’un système.
Du consommateur moins engagé au cons’ommacteur, cela se traduit par une exigence de naturalité, le traçabilité, de produits sains et nutritionnellement efficaces, sans sacrifier le goût. Mais également par une exigence de conscience sociétale et environnementale. L’attention se porte de plus en plus sur la santé, la rémunération des producteurs, l’empreinte carbone, l’empreinte eau et le bien-être animal. Le fait que l’élevage produise 18% des Gaz à Effet de Serre (GES) questionne notre régime alimentaire. Et ce, d’autant plus que la population mondiale augmente et vit plus longtemps.
De nombreux labels, applis, standards, démarches et systèmes de notations ont fleuri ces dernières années. Ils remettent les pratiques, la transparence et la traçabilité au cœur des avantages comparatifs. Ils mettent aussi la technologie au service de l’information et du choix éclairé. Parmi ces démarches et labels, on citera : La Note Globale ; Bleu-Blanc-Coeur ; C’est qui le Patron ! ; L’étiquetage Bien-Etre Animal ; Yukka ; Le Nutriscore …
La Covid : accélérateur d’un nouveau paradigme ?
Mais, pour envisager l’agroalimentaire dans 30 ans, il ne suffit pas de regarder ce même secteur 30 ans plus tôt et de faire une projection linéaire. En effet, il y a 30 ans, le Happy Meal existait, la livraison aussi. En fait, le secteur n’a pas encore connu de disruption massive.
Cependant, la Covid pourrait être un point de basculement et d’inflexion du changement dans un contexte déjà marqué par la multiplication et l’accélération des mutations et transformations – que ce soit au niveau climatique, énergétique, numérique, digital, organisationnel, alimentaires …
En effet, la crise de la Covid a joué un rôle d’accélérateur du changement en questionnant concrètement les hommes sur leurs modes de vie. Elle a montré l’impact en termes de biodiversité et l’impact sanitaire de nos modèles de consommation. De plus, elle a permis une explosion de la livraison et des dark kitchens, ces restaurants qui ne produisent que pour de la livraison. Par ailleurs, la Covid a aussi accéléré la digitalisation du Food Service et l’émergence de solutions sans contact. Et enfin, elle a permis de développer la nutrition santé et les produits renforçant le système immunitaire.
L’Agroalimentaire en 2050 : hypothèses
Alors, sur ce terreau fertile, quelles sont les trois hypothèses de transformations radicales de l’agroalimentaire ? Robotique, alimentation personnalisée et protéines alternatives semblent se profiler.
Les protéines alternatives remplacent les protéines animales
Cette première hypothèse sous-entend deux conditions. La première, c’est que les différentes alternatives lèvent des freins techniques et règlementaires qui limitent actuellement leur production à grande échelle. Ce faisant, elles pourront être proposées à des prix équivalents, voire moindre que les protéines animales. La seconde tient à l’acceptabilité de la population. Cette acceptabilité est liée à la prise de conscience du changement climatique. Mais pas seulement. Il est aussi question d’acceptabilité en termes d’habitudes et de goûts d’une part. Et d’autre part en termes de recours à des produits ultra-transformés versus des protéines animales plus naturelles, mais avec une empreinte carbone et eau colossale.
Concrètement, il existe 5 principales alternatives aux protéines animales :
L’agriculture cellulaire
L’agriculture cellulaire consiste à faire se multiplier des cellules prélevées sur un animal et donc à produire de la viande sans élevage de bétail. Les start-ups israéliennes et américaines sont particulièrement en avance sur ces technologies aujourd’hui fonctionnelles. D’ailleurs, des usines de production devraient voir le jour en 2025. Reste la question de l’acceptabilité éthique de cette méthode.
La fermentation
La fermentation est un procédé maîtrisé depuis longtemps pour d’autres produits : bière, pharmacie, boulangerie, boissons … Ce procédé a permis à l’insuline de synthèse issue de ce procédé de conquérir 90% du marché des diabétiques en 5 ans. Mais la fermentation permet aussi, moyennant une modification génétique, de produire par exemple des protéines de lait… C’est-à-dire de produire du lait sans vache, ni élevage. Sans émission de GES, donc.
Les protéines végétales
Les protéines végétales, sont sans doute les substituts alimentaires les mieux acceptés par la population. Depuis une vingtaine d’année les substituts végétaux envahissent les rayons des supermarchés avec des ingrédients plus ou moins transformés allant de la salade de lentilles au hamburger végétal saignant. Ces produits sont une solution appréciée par les personnes ayant un régime fléxitarien, végétarien ou végane.
Les protéines issues d’algues
Les protéines issues d’algues, comme par exemple la spiruline, se développent également. Elles ne sont pas encore un réflexe pour le consommateur, toutefois.
Les protéines issues d’insectes
Les protéines issues d’insectes pour la consommation humaine engendrent pas mal de réticence dans le monde occidentale. Et ce malgré leur excellente teneur en protéines et faibles émissions de GES. Aussi, les insectes font-ils leur entrée très timidement sous forme de farine incorporée dans des barres céréales ou des gâteaux ; ou grillés et assaisonnés pour l’apéro pour les plus téméraires. La question du goût se pose ici davantage en termes de dégoût.
Une « meat tax » pour accélérer le basculement vers les protéines alternatives ?
Le basculement vers ces protéines alternatives pourrait être accéléré via une taxe carbone, une « meat taxe ». Cette dernière intègrerait les émissions de GES engendrés par la viande dans le prix de la viande et en augmenterait significativement le prix. DigitalFoodLab explique qu’une augmentation de 25% du prix de la viande via cette « meat tax » en diminuerait la consommation de 67%.
L’alimentation se personnalise de plus en plus
Deuxième hypothèse : l’interconnexion entre les données du génome et du microbiote, de santé, de style de vie et de l’environnement permettra de développer la personnalisation de l’alimentation.
De nombreuses méthodes de récoltes de données, encore non connectées
Actuellement, il existe de nombreuses méthodes pour récolter des données relatives à l’alimentation et à la santé des personnes. Néanmoins, les systèmes ou outils permettant de le faire ne sont pas connectés. De ce fait, les informations sont disparates, voire parfois contradictoires sur le court, moyen et long terme.
Tout d’abord, les analyses de sang permettent de faire des bilans complets en termes de vitamines, glucose, cholestérol, fer… Quant aux prélèvements d’ADN, très controversés et illégaux en France, ils peuvent indiquer la prédisposition à certaines maladies et la capacité d’absorption de certains nutriments. Par ailleurs, l’étude du microbiote intestinal permet de connaître la capacité à digérer certains aliments et donne une indication globale de santé. Puis, grâce à l’analyse du souffle, l’on peut mesurer la capacité du corps à digérer les différents aliments. Enfin, de nombreux questionnaires sur le style de vie (activité physique, stress, sommeil, alimentation…) existent.
L’ensemble de ces moyens, encore peu connectés, permet déjà d’adapter l’alimentation des personnes, via des régimes spéciaux ou des compléments alimentaires, par exemple.
A terme, une intégration des données pour des offres ultra personnalisées en matière de nutrition
Plusieurs éléments, cependant, laissent présager à terme une intégration de toutes les données de santé récoltées par les divers moyens et croisées avec les données d’activité et d’environnement (météo, humidité, pollution…). Objectif : proposer une offre de nutrition sur mesure.
Parmi ces éléments, il y a le vieillissement de la population, tout d’abord. A cela s’ajoutent l’augmentation des maladies chroniques couteuses ainsi que la prise de conscience croissante du lien entre alimentation et santé dans la population.
En conséquence, si cette hypothèse se confirme, l’on devrait voit apparaître deux choses. D’une part,le développement de gammes semi-personnalisées de plus en plus larges en fonction de profils alimentaires spécifiques. D’autre part, la réinvention de la distribution avec des lieux où la touche finale de la personnalisation se fera chez le distributeur ou bien chez le consommateur.
Un rapprochement des acteurs de l’agroalimentaire, de la santé et de la data
Le développement de la nutrition personnalisée pourrait modifier le visage de l’industrie agroalimentaire. Tout d’abord, il est probable que les leaders de l’agroalimentaire se rapprochent du monde de la santé et y investissent de plus en plus. Il pourrait s’agir d’investissements R&D en interne ou dans les start-ups. Ensuite, et inversement, les acteurs de la santé, s’intéresseraient de plus en plus à l’alimentation et concurrenceraient sur certains produits les acteurs de l’agroalimentaire traditionnels. Enfin, les acteurs qui maîtrisent la data ou ceux qui se spécialisent sur des produits « plaisir » échappant à la nutrition santé sortiraient gagnants de cette redistribution des cartes.
La robotique investit pleinement la production et la livraison de repas
Troisième hypothèse : la robotique sera omniprésente, que ce soit dans la préparation des repas ou la livraison.
La livraison robotisée – sans contact – s’est développée avec la Covid
Alors que la livraison s’était déjà bien développée ces dernières années, la Covid a été l’opportunité de tester plus largement des solutions de livraison par drones, ou par robots. Sans contact, donc.
Ajouté à cela, on a assisté à une multiplication de réseaux de livraison. Parmi ces derniers, on a vu fleurir des dark groceries – « épiceries entrepôts » uniquement dédiées à la livraison – et des dark kitchens – ces restaurants qui ne cuisinent que pour livrer. L’ensemble de ces solutions s’appuient sur une parfaite maîtrise de la Supply Chain et de la donnée.
La production s’est aussi robotisée
Au-delà de cela, la réalisation même des repas est en train de se robotiser. Des robots effectuent les tâches répétitives, pénibles ou à faible valeur ajoutée.
Vers une interopérabilité de la ferme à la fourchette ?
Le développement de la robotisation dans ces deux domaines pourraient se poursuivre et couvrir finalement toute la chaîne de production-livraison. On pourrait imaginer de connecter l’ensemble, depuis les lieux d’approvisionnement (dark groceries) jusqu’au consommateur final en passant par la préparation des repas dans des dark kitchens et la livraison par des drones.
Vers des appartements sans cuisine ?
Si cette hypothèse se confirme, l’on pourrait voir des distributeurs et des industriels de l’agroalimentaire investir ce marché. Le volume des « repas livrés » remplacerait peu à peu le volume des « courses ». Et ce jusqu’à atteindre une parité prix qui rendrait le fait de cuisiner chez soi non rentable. Dans 30 ans, ferons-nous l’économie des mètres carrés destinés à la cuisine ? Cela existe déjà aux USA…
Ce pas vers la robotique implique toutefois des adaptations importantes en termes de compétences et de métier, d’emploi, mais aussi d’évolution des mentalités.
Agroalimentaire en 2050 : sommes-nous prêts pour ces changements ?
Développement des protéines alternatives, de l’alimentation personnalisée et de la robotique : sommes-nous prêts pour ces changements ? La question est à géométrie variable.
Pour commencer, elle interroge en fait la capacité des entreprises agroalimentaires à faire face aux enjeux techniques. Et ce faisant, l’on interroge aussi leur modèle organisationnel et leur raison d’être. Dans les deux cas, la taille et la culture de l’entreprise peuvent être décisives dans sa potentielle évolution. Par exemple, pour certains grands groupes qui sont très structurés, il peut y avoir les moyens et les ressources nécessaires à la prédiction, à la projection et aux investissements, soit en interne, soit en passant par des start-ups. En revanche, quand les deux univers – Grandes Entreprises et start-ups – se rencontrent, souvent apparaissent des difficultés de fonctionnement liées à la culture et à l’univers de chacun. Quant aux PME et TPE de type familiale, elles ont souvent moins de moyens et de ressources dédiés à l’innovation.
Ensuite, pour se réaliser, ces hypothèses nécessitent par mal d’ajustements règlementaires sur fond de débat éthique, économique et climatique. Au niveau de la nutrition personnalisée premièrement, où des données très personnelles peuvent transiter et être analysées par différents acteurs. Au niveau de la robotique, par ailleurs, où des questions de logistique et de circulation dans l’espace se posent. Et enfin, au niveau des protéines alternatives où l’acceptabilité des offres et la sécurité sanitaire peuvent être un frein.
A suivre donc !