Publié le 1 février 2018
«… la marque-employeur est un baromètre d’attractivité de l’entreprise »
Diplômé d’AgroParisTech, Stéphane Hervé a travaillé dans de nombreux grands groupes agroalimentaires à diverses fonctions avant d’être recruté par Manageria. La Marque Employeur ? Il connaît de l’intérieur et de l’extérieur. Voici son interview !
«…J’ai cultivé mon amour pour la cuisine dans l’agroalimentaire… »
CT : Que vouliez-vous faire quand vous étiez petit ?
SH : Quand j’étais petit, je voulais être Chef cuisinier ! J’ai toujours adoré faire la cuisine. Mais je n’avais pas d’histoire familiale dans la fonction. J’ai donc cultivé mon amour pour la cuisine dans l’agroalimentaire.
CT : Quel a été votre parcours ?
SH : J’ai choisi des études d’Ingénieur Agro et je suis diplômé d’AgroParisTech. Puis j’ai eu un parcours très diversifié dans l’industrie agroalimentaire.
Au sortir de ma formation d’ingénieur agro, j’ai été embauché par le Groupe Accor : je voulais travailler dans la restauration, chez Lenôtre, mais le Groupe Accor m’a fait comprendre que chez Lenôtre, il n’y avait pas d’ingénieur agroalimentaire et j’ai été orienté vers la restauration collective à la Générale de Restauration, devenue Elior où j’ai déployé l’assurance qualité !
Puis j’ai été débauché par Nestlé où j’ai travaillé dans le département Foodservice en tant que Chef de Produit. J’ai poursuivi ma carrière chez Mars dans les produits pour la restauration sur la marque Uncle Ben’s, puis en tant que Chef de Marque Suzi Wan. J’ai fait un cours passage dans le conseil chez CSC Peat Marwick sur une mission pour Promodes concernant l’implantation de lieux de restauration dans les hypermarchés. Ensuite, j’ai rejoint le Groupe Harrys-Barilla’s au développement international. Puis le Groupe Roullier en Marketing… et enfin Doux Père Dodu au département Food Service pour les grands comptes européens.
C’est là que Pierre Boulaire, le Dirigeant de Manageria m’a dit : venez chez nous !
« …je sais comment fonctionnent les entreprises agroalimentaires et à quoi correspondent les métiers. J’ai aussi construit, évidemment, un réseau très large… »
CT : Et donc vous êtes devenu recruteur pour l’agroalimentaire …
SH : Oui, et pour cela, je peux compter sur ma très bonne connaissance du secteur. J’ai travaillé dans plusieurs types d’industries, à des fonctions variées et sur différents produits. Bref, j’ai un spectre assez large et je sais comment fonctionnent les entreprises agroalimentaires et à quoi correspondent les métiers. J’ai aussi construit, évidemment, un réseau très large.
CT : Et ce parcours vous permet aussi de vous exprimer sur la marque employeur dont on entend de plus en plus parler… Est-ce nouveau ?
SH : La marque employeur, c’est un vieux concept pratiqué depuis assez longtemps par des grands groupes. Par exemple, Danone, il y a une trentaine d’années, avait déjà son « Club BSN » de jeunes talents. Dès les premières années d’écoles, ils étaient présents sur les Campus pour se faire connaître et proposaient des visites d’entreprises et des stages aux étudiants. Idem pour d’autres grands groupes comme Unilever par exemple. Mais il est vrai que ce genre d’implication requiert des moyens humains importants …
Depuis quelques années, l’accent mis sur la marque employeur résulte du fait que les entreprises agroalimentaires manquent de cadres et qu’elles ont besoin d’attirer des talents.
« … les entreprises agroalimentaires manquent de cadres et elles ont besoin d’attirer des talents. »
CT : Pour quelle raison, cette pénurie de cadres ?
SH : Il y a plusieurs raisons à cela.
Tout d’abord, à la source, il n’y a pas assez de professionnels formés. Les Ecoles d’Agro sont en fait assez généralistes et appréciées pour leur approche systémique. A la sortie, beaucoup de diplômés sont captés par d’autres secteurs : ils vont dans l’environnement, le conseil, la banque, l’assurance, et choisissent les grandes villes…
Puis, beaucoup de postes agroalimentaires sont à la campagne, ce qui peut constituer un frein chez les jeunes diplômés puis chez les cadres plus expérimentés pour lesquels la mobilité implique des choix de vie familiaux nécessitant l’adhésion du conjoint et parfois des enfants. Quand le poste est dans un lieu très isolé, il faut pratiquement traiter le recrutement comme une expatriation avec un accompagnement pour le conjoint qui doit retrouver un travail, une aide au déménagement…
Enfin, il y a véritablement un rapport de force qui s’est inversé entre les entreprises et les candidats : aujourd’hui les candidats se renseignent et fonctionnent par affinité. Les Réseaux Sociaux, les connexions qu’ils peuvent faire par LinkedIn, les palmarès d’entreprises du type « Great Place to Work », les prix et les outils tels que « Welcome to the jungle » leur permettent de se faire une idée des entreprises, même si les critères de classement sont parfois contestables.
Quand dans tout cela survient un scandale sanitaire – une entreprise qui gère mal un rappel de produits par exemple – c’est tout l’agroalimentaire qui est impacté. L’image de toutes les entreprises s’en trouve détériorée. C’est pour cela qu’il est important de cultiver une marque employeur qui permette de se départir de ces scandales très préjudiciables. Les candidats doivent pouvoir se projeter dans un poste et dans un environnement et savoir quelle sera la contrepartie de leur investissement dans une entreprise agroalimentaire donnée.
« passer d’une stratégie de « je recrute au coup par coup » à une stratégie d’attraction à long terme »
CT : Mais toutes les entreprises peuvent-elles se permettre de mettre en place une marque employeur ?
SH : C’est effectivement plus compliqué pour la majorité des PME et des petites entreprises qui composent le secteur de l’agro, que pour les très grandes boîtes d’une part, ou les start-ups d’autre part. Concernant ces dernières, elles jouissent d’un apriori positif concernant le développement des compétences qui rend une aventure peu rémunérée attrayante pour les jeunes, d’autant que la plupart des start-ups sont localisée en dans les grandes villes.
Quand on est une PME, c’est plus difficile à moins d’être seul sur son secteur, ou d’avoir un produit spécialement attrayant. Cela implique de passer d’une stratégie de « je recrute au coup par coup » à une stratégie de long terme permettant de se constituer en amont des viviers de talents en cultivant l’attractivité sur la durée. Certaines PME le font très bien. Nataïs, par exemple, qui fabrique du pop-corn, peut compter sur une excellente Direction des Ressources Humaines qui se déplace sur les journées entreprises des Ecoles, propose des stages convertibles en contrats de travail. Avec des moyens digitaux assez raisonnables, l’entreprise a réussi à développer une très belle marque employeur cohérente avec des produits un peu « fun ».
« …en faisant un choix d’entreprise, les candidats investissent en fait dans leur propre carrière… »
CT : Quels sont les ingrédients d’une bonne marque employeur ?
SH : La première chose, c’est de « Google-iser » son entreprise et de regarder quels résultats ressortent. Parfois, les boîtes seraient surprises de voir apparaître des annonces de syndicats, des informations sur un débrayage ou encore des articles de presse pas très flatteurs sur leur entreprise. Il faut évidemment alimenter en continue une stratégie digitale pour que ce genre de résultats n’apparaissent pas ou du moins n’apparaissent pas en premier … C’est du plus mauvais effet pour les candidats.
Par ailleurs, il faut savoir aligner la marque employeur avec les valeurs de la marque et la réalité pour offrir une certaine cohérence aux candidats. Ce faisant, il faut aussi savoir replacer l’apport de l’entreprise dans la société pour donner du sens au projet et aux postes à pourvoir. C’est plus ou moins facile selon le secteur. Par exemple, dans le secteur de la viande, les entreprises s’étonnent toujours d’être dans des bassins où il y a beaucoup de chômage et de n’avoir pas de candidatures quand elles ont des postes à pouvoir…
Puis il faut savoir dire clairement ce que le candidat peut attendre d’un emploi dans une entreprise : cela peut-être le lieu de travail, la qualité de vie pour les entreprises situées à la campagne, mais aussi les perspectives, les formations, l’évolution de carrière, les à-côtés… Car en faisant un choix d’entreprise, les candidats investissent en fait dans leur propre carrière. Les carrières stéréotypées font de moins en moins rêver, notamment les jeunes, que l’on qualifie souvent à tort de zappeurs alors qu’ils veulent juste multiplier les expériences.
Enfin, il faut respecter les candidats. S’il m’arrive encore de voir des entreprises pour qui la sélection passe par de la résistance à la maltraitance, c’est de moins en moins le cas. De plus en plus, c’est le côté affinitaire qui prime avec un dialogue plutôt qu’un interrogatoire, l’objectif étant de recruter les bonnes personnes et de les garder longtemps en faisant en sorte qu’elles s’épanouissent dans l’entreprise. Et si le candidat n’est pas retenu, il faut au pire qu’il reste avec une bonne image de l’entreprise et au mieux qu’il ait appris des choses sur lui via le processus de recrutement. Car n’oublions pas que les candidats et les employés sont aussi des ambassadeurs de la marque employeur.
CT : Sur qui repose la marque employeur ? Les RH, la Com ou les candidats-employés ?
SH : Les trois en fait ! Les candidats et les employés sont évidemment des témoins ou des tiers de confiance qui peuvent incarner et véhiculer la marque employeur. Mais cette dernière doit être mise en place à la fois par les RH et par la Com afin qu’il y ait une cohérence par rapport au projet global d’entreprise, par rapport à la réalité et aux autres éléments de marque et de communication.
« Le candidat est devenu un « consommateur » d’expériences ! »
CT : Quels sont les avantages de passer d’une stratégie de recrutements ponctuels à une stratégie d’attraction pour les entreprises ?
SH : Je dirais que la marque employeur est un baromètre d’attractivité de l’entreprise.
Très souvent, les entreprises sont expertes concernant leur positionnement économique sur un marché par rapport à des concurrents. Elles connaissent parfaitement leur forces, faiblesses, opportunités et contraintes.
En revanche, elles sont beaucoup moins à l’aise pour comparer leur attractivité sur le marché candidats, ce qui fait que parfois nous avons des demandes de recrutement pour des moutons à 8 pâtes avec des salaires inférieurs à ce que payent la concurrence. Les entreprises ne sont pas non plus toujours au fait de ce qui est important pour leurs candidats et employés. Par exemple, elles anticipent mal la parentalité dans la gestion de carrière.
Travailler son attractivité, c’est connaître le marché candidat, mettre en avant ses atouts, s’améliorer de manière continue pour répondre aux attentes des candidats et employés et s’inscrire dans une certaine pérennité. Le candidat est devenu un « consommateur » d’expériences.
Propos recueillis par Christelle Thouvenin pour Wonderfoodjob, Solution RH pour la Communauté Agro